La loi de liberté

Le manifeste Communiste Chrétien des Diggers dans la Révolution Anglaise

Ce texte, que l’on pourrait qualifier de manifeste des Diggers, est la première proclamation communiste de l’histoire, quoique pétrie de références chrétiennes – comme tout ce qui se faisait ou s’écrivait à l’époque. Les Diggers, qui prônaient la communauté des biens, ont tenté, au cours de la révolution anglaise, de la réaliser en cultivant des terres squattées, avant d’être chassés par les fermiers du cru.

Nombre de pages: 144 pages

Date de parution:

ISBN: 9782913112469

Prix : 11.00

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Présentation d’Ernest (Emile) Armand (1912).

Winstanley, le Piocheur


Utopiste anglais du temps de Cromwell

Le socialisme et le communisme ne sont pas des  doctrines aussi nouvelles qu’on pourrait le croire. Sans parler des théories plus ou moins communistes de l’Eglise chrétienne primitive et de l’Eglise du Moyen Age – théories qui avaient surtout pour but d’accorder l’idéal chrétien avec les mœurs de la société contemporaine, qui condamnaient par exemple, les prêts à intérêt, et permettaient cependant de les pratiquer moyennant certains artifices –, les premières doctrines communistes apparaissent presque en même temps que l’imprimerie, vers le xvie siècle.

Le premier essai sur le socialisme communiste est Utopia, de l’auteur anglais Thomas More, qui parut en 1516. La première partie de ce livre est une critique de la société anglaise de cette époque, la seconde un plan complet de réorganisation sociale. Dans le pays d’Utopia, il n’y a pas de castes, tous les citoyens sont égaux politiquement et économiquement. La tolérance la plus absolue y existe en matière de religion. On y pratique la division du travail. Les produits de ce travail sont emmagasinés et distribués par les magistrats, suivant les besoins rationnels de chacun. Le travail quotidien est de six heures, à raison de deux séances par jour de trois heures chacune, séparées par un repos de deux heures. Huit heures par jour étant consacrées au sommeil, il reste huit heures de loisir. Pour les occuper, des salles d’études, des salons de musique, des jeux, etc., sont ouverts au public. Il n’y a ni commerce, ni monnaie. Si un produit manque dans une localité, il est compensé par l’excès qui se manifeste dans d’autres. L’échange n’est conservé que pour les rapports obligés avec les sociétés individualistes environnantes. Thomas Morus estime que c’est la monnaie qui est la cause de toutes les iniquités et de toutes les misères sociales.

La Réforme n’est pas un mouvement socialiste, mais en attirant l’attention sur les principes du christianisme primitif, et en sapant, en démolissant les hiérarchies ecclésiastiques, en proclamant enfin l’égalité morale et spirituelle des hommes, elle suscite des idées d’égalité économique. La célèbre secte des Anabaptistes, ainsi nommés parce qu’ils rejetaient le baptême des enfants comme inefficace et soumettaient à un second baptême ceux qui embrassaient leurs doctrines, avait de fortes tendances communistes. Ils estimaient que le communisme pur est seul conforme à l’idéal chrétien. Ceux de Zurich proclamèrent même une profession de foi nettement communiste et même libertaire ; ils préconisaient la communauté absolue des biens, ils ne reconnaissaient plus aucun magistrat, et refusaient le service militaire. Ils condamnaient l’échange, le prix, la monnaie. Leur propagande fut arrêtée en 1529 par une cruelle répression. Beaucoup s’enfuirent et allèrent fonder aux Pays-Bas et en Moravie des colonies communistes. Dans ce dernier pays, ils prirent à bail des terres de la noblesse. Leurs colonies furent d’abord prospères, leur nombre s’éleva à sept mille ; mais soit que par suite du peu de valeur de leur technique agricole, soit à cause du loyer sans doute élevé qu’ils payaient, soit par suite de ces deux circonstances réunies, les produits à partager se trouvassent insuffisants, le principe de la propriété individuelle l’emporta bientôt. Les colonies se désagrégèrent et les colons furent réduits à la plus profonde misère.

Chez les anabaptistes réfugiés aux Pays-Bas et dans le nord-ouest de l’Allemagne, le communisme s’affirma avec plus d’audace et de violence. Ceux-là étaient des révoltés qui, sous la conduite de Melchior Hoffmann, et après l’emprisonnement de celui-ci, de Jean Mathias et de Jean de Leyde, ne se contentaient pas de vivre en communistes, mais déclaraient une guerre sans merci à la société environnante. Leur centre de ralliement était la ville de Münster. Luther marcha contre eux à la tête de la noblesse allemande, prit la cité westphalienne et fit supplicier Leyde et ses principaux partisans, ce qui étouffa la révolution communiste ; cependant des communautés anabaptistes se conservèrent en Hollande, en Allemagne, en Suisse, et par immigration, aux Etats-Unis ; quelques-uns allèrent s’établir en Angleterre, où ils firent d’assez nombreux adeptes. 



Vers 1550, Rabelais, le joyeux curé de Meudon, décrivait dans un de ses livres l’abbaye de Thélème, d’organisation tout à fait libertaire et dont la seule loi était : Fais ce que veulx… Dans cette abbaye (imaginaire), l’échange n’était pas aboli, mais il était transformé en une réciprocité de services, en prêts mutuels sans intérêt. Il n’y avait ni monnaie, ni actes de commerces proprement dits.



 En 1620, François Bacon, qui fut ministre d’Angleterre, publiait l’Atlantis Novo (la Nouvelle Atlantide). Ce pays supposé avait pour capitale Bensalem, et dans cette ville se trouvait un institut central de tous les arts et de toutes les sciences. La nation était divisée en familles, chaque famille avait un chef et un domaine suffisant attribué par l’Etat. Il n’est question, dans ce livre, ni d’échange, ni de monnaie. 



La Révolution anglaise de 1648 eut un caractère autant religieux que politique. Henri VIII s’était contenté de rejeter l’autorité du pape et n’avait pas modifié par ailleurs le dogme catholique. Après sa mort, Edouard VI fit du calvinisme la religion officielle, qui redevint catholique sous Marie Tudor. L’Eglise anglicane ne fut organisée que sous Elisabeth. Elle resta monarchique et aristocratique, à l’image de l’Etat. L’autorité du pape fut définitivement rejetée, ainsi que la vie monastique et le célibat des prêtres, mais la hiérarchie fut maintenue ; il y eut des archevêques et des évêques, et le souverain devint chef de l’Eglise. Cette organisation était agréable au gouvernement, dont elle renforçait l’autorité, et à l’aristocratie, devenue propriétaire des biens des anciens monastères. Mais elle paraissait insuffisante à la bourgeoisie et au peuple, qui puisaient dans la lecture assidue de la Bible des maximes démocratiques.

A côté des Episcopaux ou Conformistes, partisans de l’Eglise établie, il y eut bientôt des Presbytériens, qui demandaient la suppression des évêques, et des Indépendants, qui voulaient supprimer les ministres eux-mêmes. Dans un tel milieu, la propagande des anabaptistes réfugiés ne devait pas rester lettre morte. Sous le règne de Charles Ier, les sectes non-conformistes furent persécutées, et beaucoup d’indépendants allèrent s’établir en Amérique. A un moment, l’émigration parut alarmante. Charles Ier l’interdit. Bientôt, il voulut imposer aux Ecossais presbytériens la religion anglicane. Ce fut le signal de la révolte. On sait le reste. Charles Ier, obligé pour avoir de l’argent de convoquer un Parlement, y trouva de nombreux ennemis. Les presbytériens et les indépendants y étaient majorité. Bientôt une guerre civile éclata. Oliver Cromwell, d’abord obscur, qui était membre du Parlement, sut lever quelques régiments de fanatiques, les « Côtes de Fer », et devint bientôt le chef incontesté de la révolution. Après l’exécution de Charles Ier, il se trouva aux prises avec la secte indépendante des Niveleurs qui, sous la direction de John Lilburne, préconisaient une République égalitaire. C’est à cette secte, qui comptait dans l’armée anglaise de nombreux adeptes, qu’appartenait Winstanley, le Piocheur.

C’est le 17 avril 1649 que le général Fairfax, selon le récit de Bulstrode Whitlocke 1, envoya deux détachements de cavalerie pour avoir raison de certains « niveleurs » établis à Saint-Margaret’s Hill, près de Cobham, et à Saint George’s Hill, dans le comté de Surrey, où ils piochaient le sol et l’ensemençaient sans se préoccuper des propriétaires et du loyer. Un certain Everrard et Winstanley se rendirent auprès de Fairfax et lui remirent une « Déclaration générale », bientôt suivie d’une « Déclaration » plus générale encore, où Winstanley prouvait « comme une équité indéniable que le commun peuple doit piocher, cultiver, ensemencer le sol et vivre sur les biens communs sans les louer ou payer de loyer à qui que ce soit ». Dans cette Déclaration plus générale, Winstanley demande si toutes les lois qui ne sont pas établies sur l’équité et la raison, et qui ne donnent pas une liberté égale à tous, et celles qui consacrent les privilèges des seigneurs et des propriétaires fonciers, ne sont pas disparues en même temps que tombait la tête du roi. Suivent quelques apostrophes assez véhémentes lancées au clergé du temps qui, « contrairement à la parole divine, soutient l’iniquité ». Comme on peut bien le penser, ces lettres eurent peu d’effet sur Fairfax et Cromwell. « Quoi donc ! » disait ce dernier, mais « le but des principes des niveleurs c’est de rendre le tenant l’égal de son landlord ! Par naissance, je suis un gentleman. Il faut tailler ces gens-là en pièces, sinon ce sont eux qui s’en chargeront. »

Winstanley écrivit une nouvelle épître à Cromwell, un chef-d’œuvre où les grands problèmes sociaux sont discutés et résolus. En passant, Winstanley montre les causes de l’insuccès des révolutions. « Le peuple ne sait pas pourquoi il combat », dit-il. Puis il explique que la possession de la terre est le résultat de « la loi de la massue ». En dépit de son inexorable logique, Winstanley n’est pourtant ni marxiste ni socialiste d’Etat car il n’entend pas que le communisme soit imposé ; « que ceux qui n’en veulent pas continuent à acheter et à vendre ; l’exemple les convaincra ».

Ces déclarations et la publication d’une brochure intitulée Les Vrais Niveleurs, dans laquelle il distinguait les « vrais » niveleurs ou communistes des niveleurs politiques, lui valurent d’être jeté en prison à Kingston en 1649. Il fut condamné avec deux autres à 250 fr. environ d’amendes et de frais. On ne possède guère d’autres détails sur Winstanley, qu’on présume avoir été bourgeois de Londres. En 1652, on le retrouve partant de Harrow-on-the-Hill en tournée de propagande ; il est arrêté à Nottingham, puis on n’en retrouve plus de traces.

Il a publié de nombreuses brochures où il se montre un économiste de grande valeur qui, selon M. Morrison Davidson 1, vaut tous les utopistes, de Platon à Bellamy, en passant par Adam Smith et Karl Marx.

Voici quelques-unes de ses principales idées : «  La loi a deux racines (buts) : 1° la conservation commune ; 2° la conservation individuelle. » Une communauté libre doit comprendre : Dans la famille : le père. Dans la ville, bourg ou paroisse : 1° le pacificateur ; 2° quatre sortes de surveillants : pour le maintien de la paix, pour l’apprentissage des métiers, pour la répartition des produits du travail et leur entassement dans des magasins généraux, pour la surveillance générale (tous les citoyens ayant dépassé 60 ans) ; 3° les soldats ; 4° les maîtres des travaux ; 5° l’exécuteur. Dans le territoire : 1° le clergé ; 2° le parlement ; 3° l’armée.

Quant aux lois de la communauté : 1. La simple lettre de la loi suffit ; 2. quiconque ajoute ou retranche à la loi perd son office ; 3. quiconque rend la loi pour de l’argent comptant ou une récompense est puni de mort. Sont également punis de mort les assassins, les acheteurs et les vendeurs, les magistrats prévaricateurs. Quoique le sol et les entrepôts soient communs, chaque famille vivra cependant à part : la maison, l’ameublement, les vêtements, sont la propriété de la famille. Chaque demeure doit conserver les instruments et outils qu’il faut pour cultiver la terre.

La communauté n’est pas libertaire et n’ignore pas les punitions. 

 Si quelqu’un refuse d’assister les surveillants dans leur travail, la raison doit donc lui en être demandée. Si c’est à cause de maladie ou d’indisposition, il sera dispensé du service ; si c’est par simple paresse, il sera puni selon les lois destinées à réprimer la paresse.

On voit que Winstanley n’a pas comme les théoriciens actuels, confiance dans le besoin d’activités de l’individu. Cela s’explique d’ailleurs, étant donné le travail long, pénible et rebutant qu’au xviie siècle il fallait faire pour amener l’abondance.

Si quelqu’un refuse d’apprendre un métier, ou de travailler en temps de semailles ou de moisson, ou de remplir la tâche d’administrateur aux magasins, tout en continuant à se nourrir et à se vêtir aux frais des autres, les surveillants le réprimanderont d’abord en privé. S’il persiste à paresser, la réprimande sera publique et si, dans le mois qui suit, il ne s’est toujours pas amendé, il sera remis au maître des travaux qui le mettra au travail obligé pour douze mois, ou jusqu’à ce qu’il fasse sa soumission. 

A partir de 40 ans, personne n’est obligé de travailler. C’est dans les hommes et les femmes de plus que 40 ans que sont choisis les surveillants et autres délégués à la bonne exécution des lois.

L’instruction est gratuite et obligatoire. L’assistance médicale est gratuite, naturellement. 

 Mais les plus caractéristiques des ordonnances de la communauté sont les lois contre l’achat et la vente, crime de lèse-humanité par excellence aux yeux de Winstanley.

 Si n’importe qui achète ou vend la terre ou ses produits, il sera mis à mort comme traître à la communauté. Celui ou celle qui appelle sienne la terre sera exposé en public et délivré pour douze mois au maître des travaux. Quiconque cherchera, par querelle ou persuasion secrète, ou révolte armée à rétablir le régime de la propriété, sera mis à mort. Personne ne louera ses propres services à autrui, ou ne louera les services d’autrui, sous peine de perdre sa liberté et d’être délivré pour douze mois au maître des travaux (…). L’or et l’argent ne pourront servir qu’à faire des plats et objets d’ornement pour l’intérieur des maisons.

Lorsque l’humanité a commencé à acheter ou à vendre, c’est alors qu’elle a perdu son innocence ; c’est alors qu’en effet les hommes ont commencé à s’opprimer l’un l’autre, à se dépouiller mutuellement des droits égaux qu’ils tenaient de la création. Qu’une terre appartienne à trois personnes, et que deux d’entre elles trafiquent sans le consentement de la troisième, voici son droit enfreint et sa postérité engagée dans une guerre.

Ce fut, pense Winstanley, contre le consentement d’un grand nombre que dès l’abord la terre fut achetée et vendue. De cet achat et de cette vente résultèrent et résultent encore des mécontentements et des querelles, fléaux dont l’humanité a déjà souffert. Les nations de la Terre n’apprendront pas à transformer leurs épées en charrue et leurs lances en boyaux, ne cesseront pas de guerroyer, avant que ce misérable procédé d’achat et de vente n’ait été jeté au rebut parmi les autres débris de la puissance royale.

Dans la communauté, nul homme ne pourra devenir plus riche qu’un autre ; cela n’est pas désirable, car les richesses rendent les hommes vaniteux et orgueilleux, et les conduisent à opprimer leurs semblables, elles sont des occasions de querelles. Cela non plus n’est pas juste, car nul ne peut arriver à la fortune sans l’aide de ses voisins, et s’il y arrive, sa fortune appartient tout autant à ses voisins qu’à lui, puisqu’elle est le fruit de son travail. Tous les hommes riches vivent à l’aise ; ils se nourrissent et se vêtent par le labeur des autres, non par le leur, cela fait « leur honte et non pas leur noblesse ». Les riches reçoivent tout ce qu’ils possèdent de la main des travailleurs ; quand ils donnent, ce n’est pas leur travail, ce n’est pas leur propriété, c’est celle des autres ; leurs actions ne sont donc point des actions équitables.



 Selon l’esprit du temps, tous les écrits de Winstanley revêtent une phraséologie religieuse, très proche parente de celle de Tolstoï. A ce point de vue spécial il est universaliste et il est le premier en Angleterre qui proclama le salut pour « l’humanité tout entière », tandis que le dogmatisme théologique d’alors le réservait aux « prédestinés ». Il ne tarit pas d’invectives contre le clergé et montre que la théologie (doctrine de la divinité) n’est nullement en concordance avec les enseignements du Christ, « dont les paroles étaient de science pure ».

Pour lui, la théologie est une tromperie qui, en tournant les regards des hommes vers le ciel, leur fait oublier les droits qu’ils tiennent de naissance. 



 Winstanley ne croyait pas d’ailleurs à l’efficacité de lois qui n’auraient pas été ratifiées formellement par le peuple, cela bien avant qu’on eût inventé le mot Référendum. Tout élu lui inspirait de justes soupçons. 

 Occupés à se « voler » les uns les autres ce qui restait des terres confisquées à la Couronne, aux Eglises et aux « rebelles », les fameux colonels « Côtes de Fer » ne prêtèrent pas plus l’oreille aux doléances des « Niveleurs », influencés par les idées de Winstanley qu’aux projets de réforme sociale de ce dernier. Il est regrettable de penser que des hommes d’Etat célèbres comme Carlyle, Frédéric Harrison, John Morley, Roseberry, l’ex-Président [Théodore] Roosevelt vantent à qui mieux mieux le génie et la probité du grand imposteur que fut Olivier Cromwell, et le présentent comme un Républicain du type le plus pur, tandis que nul ne parle de Winstanley, le précurseur inconnu, obscur, dont le travail de propagande ne fut cependant pas accompli en vain puisque, à en croire Comber, le doyen de Durham, qui écrivait en 1678, c’est à sa petite bande de partisans que l’on doit reporter l’origine des Quakers. Il faut savoir gré à Morrison Davidson d’avoir fait revivre cet utopiste si clairvoyant.

Ernest Armand