La Voie communiste vers le capitalisme

Luttes sociales et sociétales en Chine de 1949 à nos jours

ET si les révolutions communistes du siècle passé (chinoise, mais aussi russe et les autres) n’avaient servi dans les faits qu’à assurer le passage de pays économiquement sous-développés au capitalisme de plein exercice? Et cela malgré les combats menés parles classes opprimées qui mirent ces régimes au pouvoir et la sincérité révolutionnaire de leurs dirigeants. C’est la question qu’on peut se poser à la lecture du livre de Ralf Ruckus qui retrace la dialectique des luttes sociales et des réformes engagées en réaction par la classe dirigeante chinoise depuis 70 ans et plus. Mais on sait bien que « si les hommes font l’histoire ils ne savent pas l’histoire qu’ils font »… Loin de tirer une conclusion cynique ou désabusée de son exposé, l’auteur soutient que l’échec du mouvement ouvrier et socialiste international à détruire le capitalisme ne doit pas empêcher de continuer le combat contre ce système mortifère, pour l’abolition des frontières et des hiérarchies sociales, tout en combattant le racisme et le sexisme. Ainsi place-t-il ses espoirs dans les potentialités révolutionnaires de la classe ouvrière chinoise, dont le poids numérique sera évidemment décisif.

RALF RUCKUS milite au sein des mouvements de base en Europe et en Asie. Il écrit sur les conflits sociaux, les relations entre les sexes, les migrations et d’autres questions politiques liées à la Chine.

Nombre de pages: 288

Date de parution:

ISBN: 9782913112742

Prix : 14.00

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Après-propos

DE LA ZONE DES TEMPÊTES À L’ERE DES CATASTROPHES

En Europe, aux alentours de 1968, la Chine inquiétait les bourgeois mais séduisait une partie de leurs progénitures. Son régime égalitaire, semblait-il, la misère séculaire dont elle tentait de s’extirper, sa politique extérieure opposée à l’oncle Sam, son soutien aux nombreuses guérillas qui combattaient les vestiges du colonialisme dans la « Zone des tempêtes »1, lui valait aussi de nombreuses marques de sympathie, notamment dans les milieux d’extrême-gauche déçus par la social-démocratisation des PC occidentaux. Et cela malgré les crimes et les ridicules de la « Grande Révolution culturelle prolétarienne », que célébraient néanmoins nombre d’intellectuels distingués.

En France, plusieurs partis ou groupes maoïstes furent ainsi actifs jusque dans les années 1970-80, dirigés soit par d’anciens bureaucrates communistes « moscoutaires » de second rang, soit par des jeunes universitaires (de Normale Sup’, notamment) qu’on aurait crus moins naïfs. Face à eux, le reste de l’extrême-gauche oscillait entre un soutien critique de la RPC face à l’impérialisme US, ou refusait de choisir entre les trois modèles (occidental, russe, chinois) en les mettant sur le même plan. Une partie des trotskistes – ceux de la ive Internationale, de tendances « frankiste »2 ou « lambertiste » –, collait au régime maoïste la même étiquette que le fondateur du courant avait attribuée à l’URSS, soit d’ «Etat ouvrier dégénéré» ou «déformé», voire parfois de «né dégénéré»… A ce titre, il convenait donc de défendre les fondamentaux socialistes de ces régimes, représentés, expliquait-on, par la propriété étatique des moyens de production, la planification, le monopole du commerce extérieur et la disparition de la bourgeoisie, fondamentaux qui subsistaient malgré tout.

Les courants de l’ultra-gauche (conseillistes et bordighistes), comme les trotskisants du Socialist Worker Party britannique, définissent pour leur part le régime chinois comme un capitalisme d’Etat, qui s’astreindrait à réaliser le programme politique historique de la bourgeoisie en se substituant donc à elle, vu son absence ou son incapacité à le mettre en œuvre. Un autre courant trotskiste, celui de Lutte ouvrière, développe une analyse assez proche, qualifiant le régime chinois d’ « Etat bourgeois sans bourgeoisie » (variante du célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche), faisant valoir qu’il s’est édifié avec le soutien de la paysannerie, et en l’absence de toute révolution ouvrière.

Quant à « l’homme de la rue », ses opinions étaient des plus simples et tranchées, considérant que ce type de régime pouvait bien convenir dans des pays arriérés, comme la Chine d’avant 1949, mais « pas chez nous… » (les pays occidentaux et leur inégale prospérité). Il ne servait à rien de lui expliquer que ces Etats au bilan humain désastreux (chinois, russe, coréen, sans parler évidemment du cambodgien) 3, n’étaient pas véritablement communistes. Autant essayer de convaincre, si l’on est un sectateur protestant, un catholique romain que le pape n’est pas chrétien…

Il faut se rendre à l’évidence : les seules révolutions anticapitalistes du xxe siècle ont éclaté, contrairement à la théorie, dans des pays où la classe ouvrière était numériquement très minoritaire. Et les régimes édifiés à leur suite ont été évidemment bien incapables de réaliser l’idéal socialiste, tout en assurant quand même un minimum vital à leur population – chèrement payé il est vrai. La liquidation des anciennes classes possédantes a débouché sur la domination d’une nouvelle couche sociale. Jusqu’à récemment, celle-ci ne pouvait transmettre ses richesses accumulées par voie d’héritage, mais d’autres lui étaient offertes. Et aujourd’hui, ces Etats ont tous rejoint les pays capitalistes au plan économique, sinon politique. Mais le Parti communiste est toujours au pouvoir, à l’instar de ses homologues coréen du Nord ou vietnamien entre autres. Au total, « objectivement », ces régimes auront été le moyen – pas forcément le plus efficace, mais ça on ne le saura jamais – pour des pays économiquement sous-développés de tenter de rattraper l’Europe et les Etats-Unis ; de discipliner à la mode capitaliste une paysannerie fruste, bref de créer une industrie et un prolétariat ouvrier en l’absence de bourgeoisie. Et cela quelle que fût la sincérité révolutionnaire de leurs dirigeants dont le marxisme n’était pas toujours à l’origine mêlé de nationalisme, comme c’était le cas des bolchéviques russes, à la différence des Chinois par exemple, qui avaient inséré significativement « nations et peuples opprimés » dans le cri de ralliement du mouvement ouvrier : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

Cet échec historique du mouvement ouvrier mondial à instaurer une société égalitaire condamne-t-il, à l’heure des catastrophes climatiques et autres qui se succèdent à une cadence toujours plus rapide, le vieux rêve d’une République socialiste universelle ? Le marxisme n’aura-t-il été finalement qu’un outil idéologique pour bourgeoisies embryonnaires des pays économiquement retardataires 4 ou pour classes ouvrières occidentales désireuses de défendre leurs intérêts dans le strict cadre d’un système qu’elles combattaient, mais renonçaient aussi par là à vouloir abattre ? Ou encore, particulièrement dans la variante stalinienne, un cadre d’organisation militaro-organisationnelle pour guérillas tiers-mondistes ? En d’autres termes, le communisme était-il une lubie ? un idéal généreux, mais irréalisable ?

Il apparaît tous les jours que le système capitaliste, fondé sur la concurrence à tous les niveaux, celle des individus, des firmes commerciales et des Etats entre eux, et dont le principal « moteur de croissance » est désormais la réparation partielle des catastrophes qu’il provoque lui-même de par son mode de production, ne pourra pas se réformer. Et que toute lutte sérieuse contre la dégradation climatique ne pourra être menée avec quelques chances de succès qu’au niveau mondial. D’où la nécessité d’une gouvernance planétaire. Laquelle ne pourra être fondée que sur un système socialiste, notamment pour cette raison qu’il est constitutivement moins productif que le capitaliste, qui « épuise les hommes et la terre » (Marx, dans le Capital), qu’il devra ménager au contraire. Ce n’est plus seulement une question de justice sociale, mais de préservation de l’habitabilité de la planète.

La République universelle ainsi constituée permettra des économies d’échelle et donc une réduction du volume des industries. Elle s’accompagnera de l’abandon des productions les plus polluantes et avant tout des industries d’armement. L’amélioration du niveau de vie des populations sera permise par le choix de nouvelles productions salubres et utiles au plus grand nombre (et de nouvelles manières de travailler), la diminution subséquente des pollutions et la baisse importante du temps de travail. On peut espérer que, du fait de ses dimensions planétaires et des progrès technologiques, cette nouvelle organisation sociale et politique ne rencontrera pas les mêmes difficultés que les pays pauvres qui ont tenté de construire le communisme.

Cela suppose évidemment une rupture avec les habitudes et les rêves consuméristes, y compris dans les classes et les régions du monde les plus pauvres. Mais c’est au profit de celles-ci que ces révolutions devront s’effectuer en priorité. « Si le soleil ne brille pas pour tout le monde, et bien, camarades, nous éteindrons le soleil ! », aurait dit un jour Trotski.

La jeunesse, généralement issue des classes moyennes en voie de prolétarisation des pays riches, acquiert une conscience croissante de ces nécessités et de la nocivité de ce système qui « porte en lui la guerre [et les calamités] comme la nuée porte l’orage »… C’est là que notre auteur pointe justement l’importance numérique de la classe ouvrière chinoise dont le poids sera décisif dans ce combat.

Une telle issue reste improbable, bien sûr, ou ne s’imposera qu’au terme d’une série de cataclysmes en tout genre. Mais est-il un autre choix que de lutter pour ce qui reste un idéal ? Nous le devons à nos descendants, et à nous-mêmes.

Raoul Vilette

Notes

1. Cette notion maoïste recouvrait les pays du Sud en lutte contre les diverses formes de colonialisme persistant et ses succédanés, où vivait la majorité de la population mondiale.

2. C’est-à-dire la tendance dont est issu l’actuel NPA.

3. En quelques dizaines d’années, ces régimes auront tué autant ou plus de monde qu’un Etat aussi proprement capitaliste que celui des Etats-Unis, lui aussi très meurtrier, mais à l’extérieur de ses frontières et sur une plus longue période. Que l’on pense seulement au Vietnam (2 millions de morts civils) où furent employées à grande échelle des armes chimiques et bactériologiques ; aux bombardements massifs sur le Cambodge à la même époque ou aux 600 000 communistes indonésiens massacrés en 1966 sur listes fournies par la CIA.

4. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux Etats du « tiers monde » s’étaient engagés dans des régimes à parti unique revendiqués « marxistes » en Amérique latine et en Afrique. Dans ce dernier cas, les relations avec le néo-colonialisme français n’en furent guère affectées. Parmi ces marxistes tropicaux, il y avait un certain Denis Sassou-Nguesso, grand ami de Chirac, toujours à la tête du Congo-Brazzaville.

Livres complémentaires